samedi, septembre 08, 2007

Le FMI, victime de la mondialisation

J'ai beaucoup aime cet article du journal Le Monde du 7 septembre 07 (http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-952781,0.html), ainsi je le reproduis ici. Bonne lecture!
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Dominique Strauss-Kahn devrait, dans les semaines qui viennent, être élu directeur général du Fonds monétaire international (FMI). Contrairement aux apparences, les questions qu'il aura à résoudre ne sont pas très différentes de celles qui agitent le Parti socialiste français. "Ce n'est pas le marché qui nous pose problème. (...) C'est la mondialisation." Cette phrase prononcée par François Hollande à l'université d'été du PS à La Rochelle, bien des dirigeants du FMI pourraient la faire leur. Paradoxalement, alors que la croissance économique mondiale n'a jamais été aussi forte, le moral du FMI n'a sans doute jamais été aussi bas. Créé en 1945 pour prévenir les crises économiques qui avaient contribué à la grande dépression des années 1930 et provoqué la Seconde guerre mondiale, le FMI est aujourd'hui confronté à trois problèmes existentiels. Sa raison d'être a disparu. Son action passée est contestée. Sa gouvernance n'est plus légitime.
Sa raison d'être ? Prêter de l'argent aux pays pauvres et endettés. Problème : la plupart de ces pays disposent aujourd'hui d'importantes réserves financières. Pire : le FMI et sa soeur jumelle, la Banque mondiale, sont d'autant plus désoeuvrés que, lorsqu'un pays est dans le besoin, il ne fait plus appel à eux mais à la Chine, au Venezuela ou à l'Arabie saoudite, qui sont ravis de montrer leur influence sur la scène internationale.
Ses méthodes ? Pour obtenir l'aide des institutions de Washington, les pays devaient mener une politique libérale, privatisant tout ce qui pouvait l'être. Non seulement la potion était socialement douloureuse, mais économiquement contestable. En Corée du Sud, la crise financière qu'a vécue l'Asie en 1997 est d'ailleurs connue sous le nom de "crise du FMI". Il s'en est fallu de peu qu'en 1998, le Japon et la Chine créent un "FMI asiatique".
Sa gouvernance ? Bien que basé à Washington, et passant pour être aux mains des Américains, ce sont les Européens qui y détiennent l'essentiel du pouvoir. Depuis 1945, les Etats-Unis, eux, gardent la haute main sur la Banque mondiale. A l'époque, ce duopole était logique : l'Occident était le banquier de la planète. Aujourd'hui, il n'a plus de raison d'être. Il est même contre-productif puisqu'il entache la légitimité des décisions qui y sont prises. Créés pour marquer la solidarité des pays riches avec les plus pauvres, le FMI et la Banque mondiale sont aujourd'hui perçus comme les maîtres arrogants d'un monde qui n'aurait connu ni la chute du mur de Berlin ni l'émergence de la Chine, de l'Inde ou du Brésil.
Comment, en 2007, légitimer un conseil d'administration où, en raison de quotes-parts établies il y a plus d'un demi-siècle, la Belgique pèse davantage que l'Inde, et les Pays-Bas près de deux fois plus que le Brésil ? Sur les vingt-quatre administrateurs du FMI, sept sont issus d'un pays membre de l'Union européenne. Le directeur général est systématiquement un Européen. Dominique Strauss-Kahn succédera à l'Espagnol Rodrigo de Rato. Il sera le quatrième Français à occuper cette prestigieuse fonction, après Pierre-Paul Schweitzer (1963-1973), Jacques de Larosière (1978-1987) et Michel Camdessus (1987-2000).
Quelle que soit la qualité des hommes, cette continuité pose aujourd'hui problème. Le FMI est incapable de s'adapter aux évolutions d'un monde qu'il a lui-même en partie façonné. D'où l'initiative russe : présenter un candidat "antiduopole". Habilement, Vladimir Poutine n'a pas choisi un Russe, qui serait apparu comme un homme de paille, mais un banquier de l'Union européenne : le Tchèque Josef Tosovsky. Il sera intéressant de voir quels pays émergents voteront pour lui.
Sur le fond, la Russie a évidemment raison. Il n'y a plus aucune raison que la Banque mondiale soit systématiquement présidée par un Américain et le FMI par un membre de l'Union européenne. M. Strauss-Kahn se présente comme le "candidat de la réforme", et souhaite revoir les droits de vote. Jean-Claude Juncker, premier ministre luxembourgeois et président de l'Eurogroupe, a même été explicite : "Au sein de l'Eurogroupe et des ministres des finances de l'Union européenne, tout le monde est conscient que M. Strauss-Kahn sera certainement le dernier Européen à devenir directeur du FMI dans un avenir prévisible", a-t-il déclaré.
Mais, à vrai dire, le directeur général n'est qu'un symbole. Moins que sa nationalité, c'est la composition du conseil qui importe. Pour que la Chine et les autres pays émergents aient plus de pouvoir, il faut que l'Europe en ait moins. La création de l'euro rend encore moins compréhensible la représentation européenne actuelle. Comment expliquer que la France, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie et la Finlande ne parlent pas d'une seule voix alors qu'elles ont monnaie commune ? "Il faut que chaque pays de la zone euro accepte de peser moins pour que l'Union pèse davantage", analyse l'économiste Jean Pisani-Ferry. Mais, outre qu'il n'est jamais facile d'abandonner son fauteuil, cette réforme imposerait aux pays de la zone euro de trancher une redoutable question : qui doit les représenter à l'extérieur ? Le président de la Banque centrale européenne - "Monsieur Euro, c'est moi", a dit Jean-Claude Trichet - ou le président de l'Eurogroupe ?
L'avenir du FMI dépend donc en grande partie des Européens. Mais réformer le FMI sans ouvrir le dossier de la Banque mondiale n'a pas de sens. Les critiques émises à l'encontre de Dominique Strauss-Kahn sont d'ailleurs les mêmes que celles entendues au printemps après la démission de Paul Wolfowitz de la présidence de la Banque. Le remplacement de ce proche de George W. Bush par un autre Américain, également proche du président, avait suscité de nombreuses réactions. Mais l'Europe, elle, s'était tue, s'en tenant au compromis passé après-guerre.
Au-delà, c'est toute la gouvernance des institutions internationales qui est à repenser. Réformer la Banque mondiale, chargée de lutter contre la pauvreté, devrait conduire à s'interroger sur l'avenir de la FAO, l'organisation chargée par l'ONU de combattre la faim dans le monde et qui vit actuellement une crise très profonde. Et si les critères de représentativité décidés il y a soixante ans sont dépassés, l'égalitarisme n'est pas la panacée. L'impasse dans laquelle se trouve l'Organisation mondiale du commerce (OMC), où règne le système un pays/une voix, le prouve. Pour régler ces questions, une seule instance semble légitime : les chefs d'Etat et de gouvernement qui composent le G7. A condition, bien sûr, qu'eux-mêmes se soient transformés au préalable en G20 !